Écrire au musée — (FRAC — Rennes)

Photo de l'exposition Moods de Christophe Mahé

Les Jeux Olympiques 1964-1980 de Raymond Depardon


Quel âge a-t-elle, demande la juge principale, incrédule, à l’entraîneur. Ce chiffre, quatorze, lui donne un frisson. Ce que la petite a effectué à l’instant dézingue le déroulement des chiffres, des mots et des images. Il ne s’agit plus de ce que l’on comprend. On ne saurait noter ce qui vient d’advenir. Elle jette la pesanteur par-dessus son épaule, son corps frêle se fait de la place dans l’atmosphère pour s’y lover.

Mais pourquoi personne ne les a prévenus qu’il fallait regarder par là, ragent ceux qui ratent le moment où, sur les dix centimètres de largeur de la poutre, Nadia C. se lance en arrière et, les bras en croix, donne un coup de pied à la lune, saut à l’aveugle, et ils se tournent les uns vers les autres, est-ce que quelqu’un a compris, est-ce que vous avez compris ?…

Lola Lafon. La Petite Communiste qui ne souriait jamais. Actes Sud Littérature, 2014

La mélée

Il reste une minute au chronomètre. L’arbitre vient d’ordonner une mêlée. Il s’agira donc encore une fois d’enfoncer le mur noir, celui auquel ils font face depuis l’avant-match. Le Haka, affrontement symbolique, défi guerrier.

— Taringa Whakarongo !

Le rythme du meneur, forcément maori, les réponses de son clan, le son des mains frappant les cuisses et les avant-bras. Les tatouages, imités dans le monde entier mais qui, là, ici et maintenant, n’ont plus rien de folklorique.

Mais ça, c’était il y a maintenant deux heures. On avait lâché les symboles, on était dans le réel.

D’abord, la première ligne se lie, avec ce mouvement si particulier du talonneur. Il pivote son buste à gauche puis à droite pour permettre à ses piliers de s’accrocher, leurs bras tels des cavaliers de maçonneries romaines. Puis vient la deuxième ligne en contrefort, puis la troisième en arcs-boutants.

L’édifice est construit, mais il lui faut s’appuyer sur son miroir noir pour se stabiliser. Les commandements de l’arbitre arrivent enfin.

— Crouch… Bind… Set

Le choc s’entend de loin. L’énergie dissipée se fait nuage de vapeur.

Antinos, le pugile

Quelques jours après son retour d’Olympie, où il fut couronné de lauriers, vous m’avez demandé de vous présenter celui que votre assemblée avait pourtant choisi pour nous représenter aux Jeux Olympiques. Il est vrai que c’était le seul volontaire pour la terrible épreuve du pugilat. Donc, comme vous, Antinos, fils de Cléon, était alors un inconnu pour moi.

Très vite, j’appris que le marin qu’il est prenait la mer le lendemain pour un périple de plusieurs mois jusqu’aux confins du Pont Euxin. Remplir ma mission, c’était donc m’embarquer. Comme il est de règle dans le commerce maritime, on ne voyage jamais à vide. Donc, arrivant au port du Pyrée, j’assistai au chargement du navire. Antinos était à la manœuvre. Chacun de ses mouvements exhibait la force herculéenne qui avait fait de lui ce lutteur providentiel.

J’ai moi-même embarqué après de longues négociations avec le capitaine, qui, finalement, m’attribua un petit emplacement sur le pont.

J’avais fait part de ma mission à Antinos avant l’appareillage. Nous nous retrouverions au crépuscule afin qu’il me narre ses aventures olympiques. C’est donc ce colosse qui me rejoignit. De près, et malgré la pénombre, je pus constater qu’il portait encore les stigmates des combats qu’il avait menés.

Il me confirma la douleur, les muscles à la fois épuisés par les coups portés à ses adversaires et meurtris par les coups reçus. Malgré ses nombreuses victoires, ceux-ci avaient été trop nombreux à son goût. Et puis, il y avait cet état second que la fatigue et les coups à la tête amenaient à la fin de chaque combat.


Archibald Chase