Antinos le pugile

Combat de pancrace, statuette grecque

Quelques jours après son retour d’Olympie où il fut couronné de lauriers, vous m’avez demandé de vous présenter celui que votre assemblée avait pourtant choisi pour nous représenter aux Jeux Olympiques. Il est vrai que c’était le seul volontaire pour la terrible épreuve du pugilat. Donc, comme vous, Antinos, fils de Cléon, était alors un inconnu pour moi.

Très vite, j’appris que le marin qu’il est, prenait la mer le lendemain pour un périple de plusieurs mois jusqu’aux confins du Pont-Euxin. Remplir ma mission c’était donc m’embarquer. Comme il est de règle dans le commerce maritime, on ne voyage jamais à vide. Donc, arrivant au port du Pyrée, j’assistai au chargement du navire. Antinos était à la manœuvre. Chacun de ses mouvements exhibait la force herculéenne qui avait fait de lui ce lutteur providentiel.

J’ai moi-même embarqué après de longues négociations avec le capitaine, qui finalement, m’attribua un petit emplacement sur le pont.

Antinos le pugile c’est avant tout une masse, un colosse. Notre duo de voyageurs intriguait par sa disparité. Moi, petit être frêle aux côtés du géant. Qu’importe le lieu où nous présentions, son assurance et sa prestance provoquaient un silence. Toujours vêtu du minimum, Antinos, ne cachait en rien les stigmates d’un passé tourmenté. Cicatrices, tatouages mais aussi quelques phalanges absentes. Il restait cependant peu disert lorsque j’essayais d’en savoir plus. Les détails, je les apprendrai petit à petit. Tel port où il préférait rester plutôt que de risquer de rencontrer d’anciennes connaissances. Ou celui-là que nous arpentions plusieurs nuits durant à la recherche de la femme qu’il avait dû laisser avant cette aube maudite où il avait préféré la mer.

J’apprendrais aussi que ses doigts lui avaient servi de monnaie d’échange involontaire pour les plaisirs auxquels il s’était adonné, trop jeune et trop ivre pour en mesurer le coût.

Après quelques escales, cela devint une évidence. Antinos était connu comme Héraclès dans tous les ports du Pont-Euxin.

Mais revenons à ma mission. J’avais fait part à Antinos du but de ma venue avant l’appareillage. Nous nous retrouverions au crépuscule afin qu’il me narre ses aventures olympiques.

C’est donc ce colosse qui me rejoignit. De près, et malgré la pénombre, je pus constater qu’il portait encore les stigmates des combats qu’il avait menés. Il me confirma la douleur, les muscles à la fois épuisés par les attaques portées à ses adversaires et meurtris par les coups reçus. Malgré ses nombreuses victoires, ceux-ci avaient été trop nombreux à son goût. Et puis, il y avait cet état second que la fatigue et les coups à la tête amenaient à la fin de chaque combat. Avant de se rendre à Olympie, il avait dû parcourir la Grèce pour se mesurer aux autres combattants.

À Corinthe, sous l’égide de Poséidon, les jeux isthmiques furent son premier contact avec des adversaires coriaces. Il avait eu un tirage au sort difficile et avait été rapidement éliminé. Le retour à Athènes avait été piteux. Il avait dû réduire l’entrainement et reprendre la navigation.

Quelques mois plus tard, il prit la route de Delphes pour les Jeux Pythiques. Apollon lui fut plus favorable. Il avait appris à manier les cestes, l’art de l’esquive, et avait adopté une stratégie simple : au premier coup, briser la mâchoire.

La journée suivante se déroula comme la précédente, Antinos travailla le jour durant et l’on se retrouva le soir venu.

La première escale de ravitaillement eu lieu à Trapézonte. Enfin un vrai port et une vraie ville avec ses monuments et ses lieux de perdition tant appréciés des marins. Antinos connaissait les lieux et accepta que je le suive dans ses pérégrinations.

Nous commençâmes par le théâtre. On y jouait une comédie d’Aristophane et, bien que nous ne fussions pas dans un haut lieu de l’art dramatique, le spectacle fut de qualité. Nous décidâmes donc d’aller féliciter les comédiens pendant qu’ils se débarrassaient de leurs attributs scéniques, costumes, masques, cothurnes et autres accessoires. C’est ainsi que nous rencontrâmes Eurykléia. Elle était restée en coulisse durant le spectacle car en tant que femme elle ne pouvait paraître sur scène. Mais il nous apparut vite que c’était elle qui dirigeait les opérations. Ce cher Antinos fut comme envoûté par cette apparition. Tout naturellement nous suivîmes la petite bande dans la taverne où ils avaient leurs habitudes.

Antinos, dont la réputation était arrivée jusqu’à ces confins reculés de la grande Grèce, fut sommé de raconter ses aventures pugilistiques et maritimes. Ce premier soir, il commença par l’entrainement. Les semaines passées, enfermé ou presque, où les journées harassantes alternaient entre l’apprentissage des techniques du pugile et le développement du corps d’athlète qu’il avait acquis aujourd’hui. Il décrivit aussi la nourriture que l’on prescrivait aux futurs champions, de la viande, encore de la viande, toujours de la viande.

Mais, comme j’en saurai le motif plus tard, il laissa son public sur sa faim et n’évoqua rien des Jeux, de la rage des combats, des victoires, des piteuses défaites. Malgré les supplications rien n’y fit, il se dit lassé. On le supplia donc de reprendre le lendemain, après le spectacle. La prochaine représentation avait lieu à quelques heures de marche, il nous suffisait de les y rejoindre.

Nous devions embarquer le lendemain pour la suite de notre périple maritime. Mais la décisions d’Antinos était déjà prise. Il en était fini pour lui de faire le matelot. Les sortilèges d’Eurykléia avaient eu raison de sa passion pour la navigation. Moi qui étais là uniquement pour recueillir la parole d’Antinos, n’avait pas vraiment d’autre choix que de le suivre. Ainsi nous ne rejoindrions pas la troupe le lendemain mais partirions avec eux.

Il arrivèrent à Rhizus en fin d’après-midi, juste à temps pour se rendre au théâtre et se préparer au spectacle, enfin ce qui en faisait fonction dans cette cité bien moins peuplée que Trapézonte. La représentation terminée, tout le monde attendait la suite des aventures d’Antonios. Celui-ci commença le récit de l’abordage de pirates que son navire avait subit au large de Sinope. Mais ce n’est pas ce que voulait son public, ils voulaient du pugilat. La piraterie en resta donc là. On partit à Corinthe où, comme il me l’avait déjà narré, Antinos avait subit un cuisante défaite lors des Jeux Néméens. Il s’attarda plus particulièrement sur le combat contre Zéphiros Lykos le bien nommé. Les déplacement rapides et inattendus de ce derniers avaient eu raison de la patience d’Antinos. Ses coups puissant se terminait dans le vide, souvent très loin de sa cible. Ceux de son adversaire, moins intenses, portaient à chaque fois, endolorissant progressivement le corps tout entier. Après un temps qui lui sembla infini Antonios chuta et fut dans l’impossibilité de se relever seul. Sa première expérience dans un combat à enjeu se termina donc sans qu’il ait pu toucher son adversaire. Encore un fois la conclusion du récit laissait les auditeurs frustrés. Ce qu’ils voulaient c’est une victoire, du sang, des membres brisés. Antonios resta inflexible, ce serait pour le lendemain. Pas question de livrer son trésor avant d’avoir entièrement conquis le cœur d’Eurykléia. Car là était son secret, il voulait faire durer le dévoilement de ces exploits pour rester au centre de l’intérêt de la bande et surtout de sa cheffe.

Le dernier engagement de notre troupe était à Athènes. Non pas notre grande cité mais sa petite sœur pontique. Après la représentation, la troupe se disperserait jusqu’à la prochaine saison des Dionysies. Une fois le spectacle terminé, et comme tout le monde l’attendait, Antinos se soumit à l’attente générale. Ce soir, il narrerait sa victoire aux Jeux Olympiques. Kleomenes Aetolos avait été un adversaire redoutable. À la fois rapide et puissant, il était craint de tous. Les adversaires se craignant mutuellement, ils s’observèrent pendant un long moment. Antonios déclencha les hostilités, son fameux coup à la mâchoire. Son adversaire y laissa quelques dents mais resta debout. Affaibli, il ne put échapper à la technique de notre héros. Quelques coups plus tard, Kleomenes était à terre, incapable de continuer le combat. Antinos reçu les lauriers olympiques.

Ce dénouement ne pouvait se conclure que par des libations, un banquet tout au moins. À la fin, Antinos se leva et annonça sa décision.

Antinos ne rejoindrait pas Athènes, ne serait plus le pugile adulé qu’il était devenu. Eurykléia cesserait d’être la sirène des comédiens, attirant les marins esseulés dans les griffes de sa bande. Ils avaient décidé de quitter les rives du Pont-Euxin pour vivre leur aventure dans des terres où la diaspora grecque n’avait pas encore la mainmise. Vers l’Est, vers le Nord.

Quant à moi, il me fallut trouver un nouvel embarquement pour retrouver le Pyrée et venir vous rendre compte de ma mission.


Archibald Chase, Rennes, le 17 décembre 2024